Là où tu l'attendais
le moins

Dès 1933, Carl-Gustav Jung était conduit à constater dans son essai L’Âme et le Soi – Renaissance et individuation : « J’ai pu me convaincre ensuite par mes propres recherches que des mandalas avaient été dessinés, peints, taillés dans la pierre ou construits de tous temps et en tous lieux, bien longtemps avant que mes patients ne les découvrent. J’ai constaté de même, avec satisfaction, que des mandalas étaient vus en rêve et dessinés par des patients en traitement auprès de psychothérapeutes qui n’étaient pas mes élèves. […] ce motif, en effet, constitue l’un des meilleurs exemples de l’efficacité universelle des archétypes. » Or si l’on suit les propos de cet immense explorateur de l’inconscient, non point seulement personnel, mais aussi collectif, les archétypes apparaissent comme la structure récurrente, le squelette de la psyché, de l’âme (qui n’est ni le corps, ni l’esprit).

Couverture de recueil de poèmes, Franc Bardòu
70 pages au format BD - ISBN n°978-2-9535781-6-4 - Prix de l'éditeur : 15€
Illustration de Franc Bardòu
Illustration par Franc Bardòu

 Franc Bardòu revendique l’héritage d’un surréalisme qui se propose, bien sûr, par définition, d’explorer l’inconscient comme le voulait André Breton, mais sans exiger l’abandon de la syntaxe, du rythme ni de la ponctuation. Son surréalisme vient s’appuyer sur les théories jungiennes plutôt que sur les seules hypothèses freudiennes, selon Bardòu (mais après Jung) trop restrictives et réductrices des phénomènes inconscients. Dans ce volume comme dans beaucoup d’autres de ses recueils de poèmes, il se livre donc à une exploration du monde qui fonctionne aussi bien comme une exploration de l’inconscient collectif — avec l’idée très poétique et hermétique que « l’intérieur est comme l’extérieur ». La méthode « d’imagination active » préconisée par Jung dans ses pratiques thérapeutiques, méthode que l’auteur des poèmes rapproche, dans sa pratique de l’écriture, des techniques de « l’imaginal » décrites par Henry Corbin, de la posture de « dormeur éveillé » théorisée et exemplifiée par Gaston Bachelard et de l’imagination universelle décrite par René Nelli permettent l’échappée surréaliste de l’inconscient. C’est probablement pourquoi ce recueil de poèmes, comme d’autres après lui, présente une structure « en mandala » qui renvoie à une Weltanschauung, une vision globale du monde (intérieur et extérieur), comme l’avait observé C.G. Jung. 

Pour cette raison, Là où tu l’attendais le moins comporte 5 parties. La première présente une quaternité d’opposés deux à deux, et s’intitule « Élémentaire », reprenant les quatre éléments d’Aristote. La seconde partie, « Lorsque l’empressement lui-même doit aussi se presser » compte sept poèmes, directement reliés aux sept « mobiles » ptolémaïques, permettant d’explorer autant d’humaines passions que les dieux grecs figuraient. La troisième partie, « Acharnés jusqu’à s’en mordre », visite, quant à elle, les douze maisons astrologiques dites « fixes », suscitant douze poèmes. La quatrième partie, « Pour autant que tu le puisses », évoque une trinité revêtue des dieux extérieurs non connus du ciel ptolémaïque, mais renvoyant également aux soufre, mercure et sel alchimiques, confrontant donc principes féminin et masculin, ainsi qu’un principe d’équilibre en trois poèmes. Enfin, la cinquième partie « Anceps : là où tu l’attendais le moins », qui ne compte qu’un poème, renvoie au centre de la structure, figurant l’unité. Ceci valant pour la forme.

Quant au fond du recueil, il évoque le mythe archétype de l’Âge Sombre, ou Âge de Plomb, que les traditions des Indes anciennes nommaient Kali Yuga. De ce fait, à l’intérieur de chaque poème du volume, on retrouve une structure duelle, renvoyant, dans deux premières strophes à une thématique de temps cyclique légendaire, in illo tempore, comme l’aurait désigné Mircéa Eliade, strophes qui viennent s’opposer à deux autres, rigoureusement similaires d’un point de vue métrique, mais exposant un constat, généralement ultramoderne, profondément pessimiste. Ces opposition symétriques sont distinguées par les mentions « rectus » et « inversus » qui ne sont pas sans rappeler discrètement la méthode de composition parfois suivie par Johann-Sebastian Bach, notamment dans son « Art de la Fugue » — et ce ne serait pas là la première mention formelle au grand compositeur allemand. La tonalité sombre des poèmes successifs gagne en obscurité dans sa progression à travers les sphères du mandala, jusqu’au brusque retournement final, qui nous rappelle les convictions spirituelles de l’auteur, profondément marqué par un catharisme foncièrement pessimiste quant à ce monde, mais invariablement optimiste quant à l’Esprit.

Tout comme le premier volume de la collection Votz de Trobar, ce recueil de Franc Bardòu est illustré par des dessins de l’auteur

Une préface bien en avance

Et plût au Ciel que je n’eusse pas à mon tour à vivre au milieu de ceux de la cinquième race, et que je fusse mort plus tôt ou né plus tard. Car c’est maintenant la race de fer. Ils ne cesseront ni le jour de souffrir fatigues et misères, ni la nuit d’être consumés par les dures angoisses que leur enverront les dieux. Du moins trouveront-ils encore quelques biens mêlés à leurs maux. Mais l’heure viendra où Zeus anéantira à son tour cette race d’hommes périssables : ce sera le moment où ils naîtront avec des tempes blanches. Le père alors ne ressemblera plus à ses fils ni les fils à leur père ; l’hôte ne sera plus cher à son hôte, l’ami à son ami, le frère à son frère, ainsi qu’aux jours passés. À leurs parents, sitôt qu’ils vieilliront, ils ne montreront que mépris ; pour se plaindre d’eux, ils s’exprimeront en paroles rudes, les méchants ! et ils ne connaîtront même pas la crainte du Ciel. Aux vieillards qui les ont nourris, ils refuseront les aliments. Nul prix ne s’attachera plus au serment tenu, au juste, au bien : c’est à l’artisan des crimes, à l’homme de démesure qu’iront leurs respects ; le seul droit sera la force, la conscience n’existera plus. Le lâche attaquera le brave avec des mots tortueux, qu’il appuiera d’un faux serment. Aux pas de tous les misérables humains s’attachera la jalousie, au langage amer, au front haineux, qui se plaît au mal. Alors, quittant pour l’Olympe la terre aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs, Conscience et Scrupule, délaissant les hommes, monteront vers les Eternels. De tristes souffrances resteront seules aux mortels : contre le mal il ne sera point de recours.

HESIODE
Les travaux et les jours, vs. 174-201

Poèmes extraits du recueil

Chapitre I

Élémentaire
Poème 4
— Rectus —

C’était terre de blé, de miel
Son sang de vin, cheveux de vent,
Monts pour élever jusqu’aux cimes
Tout amour de l’Autre et de toi,
C’était ma terre, satisfaite
De n’être que ce qu’elle devait être.

Dans sa chair mère, je semai
Le plus humble des luminaires
Qui, entre Torah, Coran et Bible
Germait, langue des origines.

— Inversus —

Me voilà de boue, de poussière,
Brut acier d’armes et de mort,
Couteau luisant de sacrifice,
Pierre rude, pavé lancé
Qui rugit fort contre les hordes
De corbeaux à travers rues.

Tu m’as là, caillou rouge sang,
Cri ultime à la face du monde
Sans espérance ni désir
Que d’en exploser la folie.

Chapitre II

Lorsque l’empressement lui-même doit aussi se presser
Poème 6
— Rectus —

D’abord on posa sur l’airain
Du trône céleste un guerrier
Toujours prêt à se sacrifier
Sur l’autel confiant de son peuple
À chaque frisson de l’épée
Aux bordures de l’horizon.

Puis de savoir, de savoir-faire,
De sens et d’art, et de musique,
On l’entoura jusqu’au Poème,
Jusqu’à l’art nôtre de bien vivre !

— Inversus —

Et puis tu nous as là : le siècle
S’effondre dans sa majesté.
On lèche un pied qui tout écrase,
Celui d’un piètre qui s’empiffre
Sur le dos de ceux qui n’ont rien,
Affamés, sans peur ni sans pleurs.

Maître sera celui qui compte
Plus de doigts au pied, à la main,
Que d’étoile sur la céleste
Voûte d’un ciel que nul ne voit.

Chapitre III

Acharnés jusqu’à s’en mordre
Poème 9
— Rectus —

A tant t’aimer, à trop t’aimer,
Crépuscule au sommet du monde,
J’ai quitté peu à peu le jour
Pour entrer, corps et cri, sans peur
Dans la consomption de ta danse,
Où palpite le cœur des temps.

Sur les étoiles qui tournaient,
Par miracle je t’ai versée,
Voûte céleste immaculée,
Entre le coucher et le jouir.

— Inversus —

Brûlent les autos du quartier,
Brûlent les maisons et les peurs.
Dans la rue, les ordures brûlent,
Et les sirènes retentissent
Celles des flics, des nuits profondes.
C’en est bien fini, de ton monde !

Vous pleurez avec ces sirènes
Qui vous noient au fond des égouts :
Mais si pauvres parmi les pauvres,
Même les eaux bientôt s’enflamment !

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