Chroniques Démiurgiques Vol.5
La terre de la servitude - 2022

Les Chroniques Démiurgiques sont nées de deux besoins. Le premier était de rendre un hommage poétique à la mémoire de toutes les héroïnes et tous les héros de la seconde République d’Espagne, du creux du plus sombre moment du XXe siècle, non seulement parce qu’on les oublie trop vite, mais encore et surtout, second besoin, parce que leur engagement antifasciste nous semble d’une très cruelle et sournoise actualité en 2021, plus de 80 ans plus tard. Dans l’absolu, il nous était impossible de rendre justice mémorielle à toutes les victimes de l’extrême-droite tombées avant, pendant et après le coup d’État de 1936 en Espagne, Pays Basque et Pays Catalans, puisque nous sommes incapables d’en établir un compte exhaustif des plus rigoureux. Il y a donc les victimes certaines, mais aussi toutes les autres… En dehors de l’effroyable et monstrueuse Shoah, les victimes certaines de l’extrême-droite espagnole, italienne, germanique et française se comptent par milliers.
190 pages - ISBN n° 979-10-93692-46-3 - Prix de l'éditeur : 15€

Et il est encore des partis, aujourd’hui, qui se revendiquent de cette extrême-droite — car il n’y en a nulle autre : ce qui est extrêmement à droite l’est et le demeure, y compris en termes de décisions économiques, comme par exemple l’ordo-libéralisme en vigueur aujourd’hui encore en Europe, principe qui piétine allègrement la notion de démocratie en plaçant la finance au dessus des débats démocratiques, et donc hors d’atteinte électorale.

Exagération ? Des juges en Espagne opèrent encore sur des considérations juridiques issues de l’extrême-droite, surtout lorsqu’il s’agit de considérer des militants basques et catalans, jugés délictueux dès lors qu’ils engagent des actions citoyennes démocratiques en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Délit d’opinion !

Et pour autant, l’Europe impose-t-elle à l’Espagne d’abandonner de telles pratiques, au nom de la plus élémentaire démocratie ? Seule compte la prospérité des affaires commerciales et financières internationales, des intérêts bancaires et de la puissance des États, leur principaux débiteurs. Les peuples, définis par leurs langues et les idéaux démocratiques et sociaux ne comptent pour rien dans la balance européenne, jusqu’à ce jour.

Face à une telle dérive, nous songeons à ETA. Fondée en 1959, cette organisation a évolué d’un groupe résistant au régime criminel de l’extrême-droite franquiste vers une organisation elle aussi terroriste. À partir de 1968, selon les chiffres officiels et les communiqués d’ETA, ETA a tué 829 personnes, fait des centaines de mutilés, commis des dizaines d’enlèvements et de nombreuses extorsions de fonds.

Il n’est pas ici question de juger de la démarche de ces militants, de son éventuel bien-fondé, de ses dérives, erreurs et errements évidents ; de ses horreurs non plus. Tuer pour des idées reste à jamais tuer, fût-ce pour des idées. Une telle posture ne peut être envisagée sans être fortement et fermement critiquée, quelles que soient lesdites idées. De ce fait, les militants d’ETA ont été arrêtés, jugés et condamnés, parfois à des peines de prison si longues qu’aucun criminel mafieux, trafiquant de chair humaine par voie de proxénétisme ou de trafic d’organes, 

aucun trafiquant de drogue et d’armes, pourtant marchand de morts par centaines pour son seul intérêt cynique et financier, n’a jamais connu en Europe actuelle de telles durées de peine carcérale depuis 1950, ayant pourtant semé sur son chemin de honte, la désolation, les larmes, la mort et l’horreur sous tant de formes. Soit.

Mais qu’en est-il des criminels de guerre ayant participé au coup d’État franquiste, qui ont au bas mot tué dix ou peut-être cent fois plus de victimes qu’ETA, juste au nom de leurs idées immondes et stupides ? Ils ont vieilli tranquillement, profitant des fruits indus de leurs spoliations par milliers, souillés de tous les viols, de tous les crimes et de toutes les humiliations publiques imposées aux femmes, pour délit d’opinion, voire même pour rien. Sans jugement. Sans nul compte à rendre d’aucune sorte. Certains dorment même aujourd’hui sous des monuments mémoriaux aussi énormes qu’iniques et ridicules, édifiés, à leur seule gloire, par la sueur et le sang des héros de la Démocratie réduits à l’esclavage punitif à la suite de l’ignoble victoire de l’extrême-droite. Et ce, avec la bénédiction de l’Eglise Catholique et des puissances dites « démocratiques occidentales »…

Aujourd’hui encore, tandis que tant de victimes oubliées dorment à jamais sous leurs pieds dans des fosses communes qui ne sont même pas répertoriées, certains politiciens et certains acteurs juridiques se revendiquent de cette même extrême-droite.

Car, ne soyez pas dupe : quoi qu’ils puissent venir si médiatiquement et sournoisement vous prétendre, il n’y a aucune autre extrême-droite que l’extrême-droite. En hommage aux victimes de cette grimace inique, de cette involution catabolique de l’intelligence collective — intelligence pourtant si nécessaire, si vitale — et donc pour le plus grand bien de vos enfants, ouvrez les yeux.

Si ces quelques poèmes pouvaient vous y aider, l’auteur estimerait ils n’auraient pas été écrits en vain. Mais ce travail n’aurait pas été aussi tenace et obstiné sans l’apport intellectuel constitué par l’ouvrage doctoral de Paul Preston, historien cité à chaque poème du présent volume, ainsi que du précédent à peu de chose près.

Poèmes extraits du recueil

aux habitants de Guernica, républicains ou pas, victimes de la rage meurtrière des franquistes et des nazis
in memoriam

« La vérité, la voici : nous devons être misérables, et nous le sommes. Et la source principale des maux les plus graves qui atteignent l’homme, c’est l’homme lui-même : Homo homini lupus. Pour qui embrasse bien du regard cette dernière vérité, le monde apparaît comme un enfer plus terrible que celui de Dante en ce que l’on doit y être le démon de l’autre ; avant tous, par exemple, un archidémon, qui, se présentant sous la figure d’un conquérant, met en présence quelques centaines de milliers d’hommes et leur crie : « Souffrir et mourir, voilà votre destinée ; et maintenant, feu de tous vos fusils et de tous vos canons les uns sur les autres ! » Et ils obéissent. »

Arthur Schopenhauer (1788-1860)
in Le monde comme volonté et comme représentation. 1819

« Pour se battre, il faut croire à quelque chose. Ces hommes-là, apparemment, ne croyaient à rien. Ils ne pouvaient donc pas se battre. Mais si l’on ne se bat pas, on adopte alors les valeurs de l’ennemi, même si ce sont des valeurs méprisables, puisqu’on les laisse triompher. »

Albert Camus (1913-1960)
in Le temps des meurtriers. 1949

Triptyque de la fin du monde

Poème 228

Sourds, des avions hennissent, à l’assaut de ces flammes
qu’entortillent des cris que de hauts murs abattent
sur les cendres d’enfants noyés au fond des larmes
du peuple écartelé, des mères écrasées.

Sur le vent de ce soir s’ouvre la plaie profonde
d’une terre livrée aux loups ivres de l’ordre,
sanctifiant la mort des innocents perdus
afin de les purger du péché de penser.

Les archontes sans âme ont piétiné les chairs
comme on laboure un champ pour y semer son grain,
puis affirmé bien haut qu’ils l’avaient fait pour Dieu.

À chaque pas un meurtre, un infâme mensonge,
à chaque pas un tas de tout nouveaux cadavres :
vois le triptyque saint du fasciste ordinaire !

aux républicains de Fraga e Lleida, victimes de la répression franquiste
in memoriam

« Ich spucke still in ein Gesträuch:
Ihr, denen ich muß dienen, allzumal,
Minister, Exzellenzen, General,
Der Teufel hole euch! »

Hermann Hesse (1877-1962)
« Am Ende eines Urlaubs in der Kriegszeit », in Die Gedichte. 1953

« Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. »

Étienne de La Boétie (1530-1563)
in Discours de la servitude volontaire. 1553

Avec leurs cris

Poèma 243

Où sont-ils donc, poussière au feu ? Aux marges d’aube,
au parapet d’un jour qui ne veut pas savoir ?
La couleur de ce sang que prend le ciel à naître
dans la chair étripée des enfants de sagesse,

vous la trouverez là, sur les faux des archontes,
enfoncées jusqu’au manche au plus tendre du cœur
des peuples qui ont voulu décider de leur bien,
repoussant ces déments que les tenaient esclaves.

Éparpillés au vent s’effaceront leurs noms,
emportés dans l’orage et la tempête aveugle,
avec les cris de ceux que les feux illimitent,

avec les ventres ouverts de tant de mères enceintes,
de ces femmes en pleurs que leurs troupes violaient,
éparpillés leurs noms, parmi ceux des victimes.

au peuple catalan du Pallars Sobirà, victime de la répression franquiste
in memoriam

« Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé dans notre corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit, toutes les humeurs se portent vers cette partie véreuse.

De même, dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. »

Étienne de La Boétie (1530-1563)
in Discours de la servitude volontaire. 1553

L’ombre d’un autre

Poèma 245

Toujours roué de coups sur les berges des temps
par ce ressac furieux, par l’imbécile orgueil
de tyrans étrangers, de leur langue étrangère,
le peuple en servitude est laissé dévêtu.

Tel un esclave, nu sous mille traits de fouets,
s’y laissant pervertir, bientôt, il se croit autre,
jusqu’à ne plus savoir quel était son vrai nom,
comment il disait « non », à quoi il disait « oui ».

Décapité, perdu, il va où on le hèle,
tenant à répéter ce qu’il lui est exigé,
juste pour se nourrir et pouvoir s’abriter.

D’exil et d’amnésie au plein cœur de sa terre,
il va jusqu’à nier le moindre sentiment
d’avoir jamais été mieux que l’ombre d’un autre.

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