Cosmogonia
« Cosmogonie » est le fruit poétique d’un échange épistolaire amical, mais argumenté et assez long, entre le physicien André Lannes et le poète Franc Bardòu. L’intention initiale des deux auteurs était d’établir un traité à la fois scientifique et métaphysique qui fît le point des connaissances d’aujourd’hui, leur permettant de concevoir en commun une vision du monde assez rigoureuse et actuelle, et pour une partie tout au moins, proche de la métaphysique de René Nelli (1906-1982), poète occitan, brillant intellectuel, spécialiste de l’érotique des troubadours et de la métaphysique cathare.
Cependant, le gré de l’inspiration du poète et ses productions régulières l’ont empêché de travailler assez continument à la co-écriture du traité que, finalement, le physicien a signé de sa seule main (« Penser le monde aujourd’hui », Ed. Amazon, 2020). Quand le loisir d’y travailler s’est enfin à lui présenté, Franc Bardòu est revenu l’œuvre et, en reprenant très minutieusement le plan (et les titres successifs) du traité scientifique.
Il s’est efforcé d’en dégager une écriture poétique, œuvre qui lui permet, tout à la fois, de faire aboutir son amical et intellectuel projet, mais aussi de présenter sa vision poétique du monde, dans ce qu’il a d’humain, de temporel et d’atemporel. C’est ainsi que ce recueil s’est vu divisé en 10 chapitres, évoquant successivement l’émergence de la pensée chez les hominidés, la faille béante de la chose en soi, les représentations fondamentales, les forges cosmiques de la gravitation, les processus constructifs de la biologie quantique, l’évolution des représentations, la violence du vivant, les harmonies de la Nature, les croyances et la spiritualité, avant de se clore sur le fait d’agir dans une fraternité de l’inachevé, autant de thèmes a priori peu propices à l’élan poétique. L’auteur est pourtant parvenu à y conjuguer érotique des troubadours, vision métaphysique gnostique du monde et regard scientifique posé sur le monde.
Il est vrai que les sciences contemporaines proposent un modèle explicatif du monde n’ayant nul recours à la très hypothétique notion de Dieu créateur et tout-puissant veillant sur ce monde, et lui procurant une finalité. Il n’en est pas moins vrai que l’élan poétique de Franc Bardòu regarde ce même monde comme étant totalement vide d’un dieu bon et créateur tout-puissant, puisque sa vision est initialement chrétienne, certes, mais chrétienne gnostique. Or les gnostiques, ou « sans-roi » comme les désigne l’excellent critique littéraire actuel Pacôme Thiellement, ne croyaient pas en un dieu créateur de ce monde, car un monde aussi mauvais ne peut être l’œuvre d’un bon principe tout-puissant.
Pour eux, comme pour René Nelli puis Franc Bardòu après lui, un Dieu bon ne peut donc être qu’absent du monde, et impuissant à le changer en quoi que ce soit. Il en découle la vision d’un monde sans dieu, vide de sens et de finalité, confronté à l’absurde, vision rejoignant donc, par exemple, les sciences contemporaines, mais également les philosophies d’Arthur Schopenhauer, de Giacomo Leopardi, ou même celle, tacite, d’un Emil Cioran vieillissant en exil.
Suivant toujours l’héritage intellectuel de René Nelli, Franc Bardòu rejoint également ce dernier sur le fait que les Troubadours des XIIe et XIIIe siècles auraient proposé une voie d’accomplissement spirituel laïque, sans église, ce que n’aurait pas démenti le « sans roi » que les évangiles canoniques nous appellent Simon-le-Mage. Tous ces rapprochements sont peut-être fort peu légitimes (parce très anachroniques) d’un point de vue strictement intellectuel, mais les poètes sont libres et la poésie leur donne bien des droits.
Ainsi, s’appuyant sur les certitudes et les incertitudes des sciences les plus actuelles, sur un pragmatisme pessimiste quant à ce monde, et sur un optimisme résolu quant à l’esprit hors de l’espace-temps, suivant le viatique érotique médiéval occitan suggéré par René Nelli, Franc Bardòu parvient à conjuguer dans les vers de ce recueil sa perception intellectuelle athée du monde avec sa sensibilité spirituelle et amoureuse contribuant à sublimer la douleur d’errer dans l’enfer de cette existence.
Préface
Comme l’a si bien dit Saint-John Perse dans son discours de Stockholm – lors de la réception du prix Nobel de poésie en 1960 – « Aussi loin que la science recule ses limites, et sur tout l’arc étendu de ces frontières, on entendra courir encore la meute chasseresse du poète. » Franc Bardou est l’un de ces esprits profonds qui a pris la peine de s’informer du monde tel qu’on le perçoit aujourd’hui via les Sciences de la Vie et de la Terre. Sa vision néo-cathare s’inscrit « naturellement » dans ce cadre globalement tragique. Mais dans cet ouvrage poétique, l’auteur transcende cette réalité d’une façon magistralement éthérée. Les sciences s’efforcent de déchiffrer le monde, le poète se laisse aller à le penser le long de ces frontières ainsi esquissées.
Dans cet ouvrage, le lecteur est invité à survoler le monde, paisiblement, chacun à sa manière dans une complicité insolite. Insaisissable dans sa texture ultime quantique, la vie qui en résulte à notre échelle macroscopique a de quoi nous perdre dans ses apparences premières. Cet ouvrage de Franc Bardou nous ramène à la raison, celle de sa philosophie ouverte qui rejoint à sa manière celle de l’auteur de cette préface. La version de son texte en occitan nous semble bien adaptée à la sagesse de cette vision du monde paisiblement tragique.
Le monde vivant est-il beau ? Un spiritualiste d’Occident et d’Orient, François Cheng, répond « oui assurément ». Franc Bardou nous apporte une réponse plus nuancée. À chacun d’y réfléchir !
André Lannes | Docteur es-sciences physiques | Directeur de Recherche émérite au CNRS
Poèmes extraits du recueil
Chapitre II
La faille béante de
la chose en soi
« Il semble en effet que tout ce que nous percevons des « entrailles » du monde soit quantique, y compris probablement la gravitation et peut-être même l’espace. Or, ce que nous dit aujourd’hui la physique de ces entrailles-là, celle de l’extrêmement petit, c’est que rien n’est alors « séparable ». Diviser le monde en parties peut donc faire problème ; en effet, ce qui se passe à ces échelles-là peut induire – de fil en aiguille et en cascade – des phénomènes importants à des échelles plus grandes, à l’échelle macroscopique notamment, la nôtre. »
André Lannes in Penser le monde aujourd’hui
Poème II
Ombre fatidique
— Le sens et le monde —
Vide brisé de part en part,
les candeurs d’antiques désastres
ont distillé le plomb en or
dans l’athanor de leurs tempêtes.
Les oiseaux magnétiques, aux vents
cosmiques du premier tonnerre,
hantent tous les débris de mondes
avec le désir d’y repoindre.
De cendres de mort en vestiges,
apprivoisant contes, sagesses,
le chaos tisse un arc-en-ciel
parsemant d’ombre fatidique
tous les sommeils indéfinis
jusqu’à y rétablir conscience.
Chapitre III
Les représentations fondamentales
« Ce qu’il faut retenir de cet état des lieux, c’est que tout ce qui touche à la complexité des choses de notre biosphère est fragile, et d’autant plus fragile qu’on touche au sublime de l’électrodynamique quantique ; osons le dire : la conscience, la spiritualité, l’amour (au sens de l’agapê), la fraternité, la poésie, l’art et la connaissance notamment. »
André Lannes in Penser le monde aujourd’hui
Poème IV
Amour
— Le modèle standard —
Au fond des cieux, brassées de fleurs vermeilles
te cueillerai-je, en l’azur, des chandelles
faisant danser les frêles certitudes
de t’adorer comme qui gravit l’aube.
Pour affliger le néant qui nous drape,
je fais de toi l’échelle toute en flamme
qui nous dit l’Être au monde, après le voile,
quand tout prend fin, là où choient les chemins.
Pour demeurer hors de ce temps cruel,
raie de lumière en d’astrales ténèbres,
je dis « Amour », je dis que tu es sa grâce.
Rien que l’espace pour courir jusqu’à toi ;
rien que le temps pour vivre de t’aimer :
que vouloir d’autre, ici, où tout n’est rien ?
Chapitre VI
L’évolution des représentations
« Nos croyances (ou nos convictions) se réfèrent souvent à des représentations trop simplistes du monde. Ces représentations, qu’elles soient religieuses ou économiques, sont potentiellement tragiques. Notre histoire en est lamentablement remplie. Un enseignement digne de ce nom devrait en faire état systématiquement. Ces représentations sont en effet associées à des idées reçues, qui se veulent justes et profondes, mais qui ne reflètent en rien ce qu’est vraiment le vivant dans son évolution au sein de notre biosphère. »
André Lannes in Penser le monde aujourd’hui
Poème I
Ce soir
— Les représentations simplistes
et leurs idéologies —
Tels des bouquets de fleurs cueillies sur les chemins,
les sagesses d’hier seront fanées demain.
Les mots sont des bijoux qu’on accroche à leurs cous
pour un temps les orner de fruits déjà trop mûrs.
A peine est-elle née, ma chanson choit, perdue
et, le temps de t’aimer, voilà la vie passée.
Nous posons des couleurs au vol des hirondelles
sans rien d’autre espérer qu’un peu de vent léger.
Le savoir de l’ancien lui aussi fanera
dans l’oubli ou l’élan des pensées en voyages.
Ce soir, les bras en croix, j’ai écouté le vent.
Il m’a dit de t’aimer pour étouffer le doute
et les pas incertains qu’on pose dans l’obscur.
Que nous vaudrait-il mieux, nus, debout face au vide ?
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