Le Divan de ma Souveraine

Le « Divan de ma Souveraine » est, à l’évidence, une œuvre directement inspirée par les écoles arabe, ottomane et persane médiévales de poésie. En langue persane, un dîvân désigne souvent un recueil anthologique de poèmes d’un même auteur, mais qui ne contient pas les poèmes les plus longs, tandis qu’en arabe, cela désigne plutôt un recueil des œuvres complètes.

C’est dans la tradition ottomane que nous rencontrons la définition qui le mieux correspondrait à ce livre occitan : un recueil de poèmes profanes. Il se trouve qu’il de s’agit pas d’un « dîvân de Franc Bardòu » mais bien d’un « Dîvân de sa Souveraine » — comme si une mystérieuse « souveraine » avait composée pour elle-même cette anthologie, comme autant de perles à son collier ; mystérieuse peut-être, mais, pourtant, bien réelle et incarnée, vous pouvez en être certains !

 

Lo Divan de ma sobeirana
180 pages - ISBN 979-10-93692-33-3 - Prix de l'éditeur : 15€

L’auteur lui-même définit le livre en tant qu’une « œuvre sophianique dédiée à sa Souveraine, parce qu’ele est ce par quoi être amant convie au monde imaginal et à l’entendement de l’Être ». Donc, bien que soit très réelle et incarnée la femme ici chantée et saluée, nous pouvons nous douter que l’horizon sémantique de l’œuvre s’orientera fatalement vers des lointains que les définit savamment le grand Henry Corbin.

L’ouvrage peut être divisé en deux parties. La première rassemble les évocations de l’amour, de l’énamourement e de la bienaimée. La seconde renvoie plutôt au désamour (selon l’expression d’Ovide), faisant basculer la voix de la Poésie par delà les dimensions personnelles et spacio-temporelles, dans ce que René Nelli appelait « le surtemporal », et son ami Henry Corbin « l’imaginal ». Dans le temps du grand cant courtois, le chapitre « Tandis que s’en rira l’orage » semble hériter de certaines traditions médiévales occitanes, mais à mieux y lire, de plus près, on pourrait bien également y distinguer des traditions plus anciennes, issues de l’Advaita Vendata des Indes antiques. Le second chapitre, « Indicible beauté », évoque probablement la fameuse « dyade hédonique » métaphysiquement vouée a la résorption dans l’unité du plaisir, de laquelle parla si énigmatiquement René Nelli dans son précieux essai « Érotique et civilisation ». Le troisième chapitre, « Couleur de femme », semble plutôt renvoyer à la tradition alchimique, appréciée de Carl-Gustav Jung (scientifique qui est, pour l’auteur, ce Freud, à tort ou à raison, fut pour André Breton). L’amour y apparaît, vécu tel un « feu alchimique sous l’athanor » et la Dame aimée fonctionne symboliquement telle la figure de la Dame Alchimie elle-même.

C’est là que l’on entame une seconde partie, résolument plus métaphysique, car de parfaitement incarnés qu’ils étaient, l’amant, l’amour et l’aimée plongent ensemble dans l’impalpable et l’inaccessible, foudroyés tous les trois par l’obscure faux de toute finitude. Commence là un quatrième chapitre nommé « Une mer de lumière » qui nous tend un portrait imaginal de la Dame, évoction égrainant « la vision d’elle, ce qu’elle a, ce qu’elle est, celle qu’elle est»

avant de fatidiquement conduire, du fait-même de sa nature surréelle, à l’ablation de tout moi narratif. 

Un cinquième chapitre, nommé « La Rose des vents » se déploie en « douze vents » de la mer Méditerranée, constituant un chansonnier drapé de ce qui reflète plus ou moins les douze maisons astrologiques. La mélancolie profonde qui traverse ce passage s’élève à la mesure de l’amour qui y porta l’auteur. C’est ainsi que nous parvenons à une sorte de « mandala poétique », au dernier chapitre, nommé « Le Rosaire de la Souveraine », édifice très enraciné dans un ésotérisme assumé, s’ouvrant en corolles autour d’un centre dit « Cœur unifique de la Rose », probablement lié à la notion d’unifique, du grand Ibn’Arabî. Effectivement, la seconde corolle hermésienne comporte trois pétales dits « cordiaux » renvoyant au soufre, au mercure et au sel, tandis que la troisième corolle présente quatre pétales « opératifs », selon les quatre étapes de l’œuvre alchimique.

La quatrième corolle, dite « élémentaire », compte cinq pétales correspondant aux quatre éléments hermétiques et à la quintessence. Puis nous passons à la cinquième corolle dite « aux sept pétales astraux », reflétant les sept dieux antiques des cieux ptolémaïques. La sixième corolle compte douze pétales en miroir des douze signes astrologiques. La septième corolle compte seize pétales, autant qu’il y a de figures mantiques dans la géomancie traditionnelle. La huitième et ultime corolle présente vingt-deux pétales, autant qu’il y a de chapitre à l’Apocalypse de Jean.

La particularité de cette dernière corolle est peut-être l’usage un peu spécial de l’exergue qui, ici, semble pris à contre-pied des usages les plus habituels, l’élan poétique se déplaçant à l’opposé du sens porté par chaque citation de troubadour : tandis que les devanciers médiévaux exprimaient rancune et amertume contre la dame sans merci, l’enchaînement poétique contemporain, lui, exprime bien au contraire le pardon et la compassion pour une Dame de toute façon définitivement inaccessible.

Poèmes extraits du recueil

Tandis que s’en rira l’orage - 13

Qu’il est lourd, Ton sommeil, qu’il est épais, le voile !

Notre roi et Noblesse, en Ta grotte cachés

nous manquent à mourir et nous en mourons tant,

nous ne nous en savons plus vivre seulement.

Nous n’avons plus ni nom, ni terre ni mystère.

Ainsi mortifiés, pourtant nous Te sommes ombre

et Toi Tu brilles au ciel en odeur de blancheur

comme disait le maître.

Notre chant interdit parle à Ta solitude

et nous, pourtant, toujours, nous psalmodions cet hymne,

gais de T’y savoir vivre et royaux d’être Tiens.

C’est pour cela qu’on dit qu’est Gai notre Savoir

et l’orage en rit bien.

Puisse-t-il, de ses eaux, bénir ma Souveraine

et lui inspirer l’Amour quand elle est si lointaine.

La Souveraine - 1

Tout le vacarme de la rue

Contre les pierres millénaires,

La vieille halle qui promène

Sa fraicheur de brise dorée,

Et les bras éployés des arbres

Se berçant d’une danse lente,

Une jeunesse qui s’invente

Quelque désir d’agir encore,

La saison qui s’incline et tombe

Dans les braises vives d’été,

Le miroir des monts sur les tuiles,

Promesse d’azurs infinis

Un château qu’habillent les brumes,

Souvenirs de matins perdus,

D’un ciel que ne veut plus se dire,

Des voiles de regards sans but

Qui ne veulent plus se connaître :

Attendre, et attendre sans cesse,

Sans aucun espoir ni désir,

Attendre pourtant, bien à l’ombre

De la plus céleste espérance

Qui ne parle plus que d’instant,

Avec le ciel seul pour se dire.

Et la voici, humble, limpide,

Sa bonté qui nous rend meilleurs,

Frêle femme de certitude,

Forte d’amour contre l’orgueil,

Voix d’harmonie et d’attention,

De dignité, voix d’un royaume

Où tous nous sommes rois et reines

Dans le vent si clair d’un sourire.

« Mais à la guérison, en moi, se substitua
Une affection nouvelle née du transport d’amour,
En découvrant un être dont la beauté s’accrût
Dès le premier moment où je la rencontrai
Dans sa beauté  splendide et sa magnificence. »

in Tractat de l’amor
IBN’ARABÎ

Sciroc - 3

Au commencement était Amour,

Et Amour était avec Dieu,

Et Amour était Dieu.

Tout ce qui est provient d’Amour

Et tout ce qui ne vint pas d’Amour

N’est rien, vient de rien

Et revient au néant.

Tout ce qui, en toi,

Provient d’Amour

Est Dieu,

Et tout le reste n’est pour nous que ténèbres

Car d’Amour seulement provient la Lumière.

Amour n’est pas dans tes pensées,

Dans ton jugement, tes calculs.

Amour n’est ni cher ni gratuit,

Car il est l’unique valeur,

Et ce que par Amour tu donnes

Est Amour, c’est tout ce que tu es ;

Tout le reste gît au néant.

Amour ne perd rien ni ne gagne

Car il est tout, sans nul besoin,

Sans désir ni sans devenir.

Amour est principe de l’Être.

Que pourrait bien valoir le reste ?

A l’Amour je reviens toujours

Et même nu, seul, face au vide,

Car Amour est seule Lumière,
Source, Raison, vérité, langue

Et voie de vie,

Dans les ténèbres du néant.

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