Dans tes bras
« Dans tes bras » marque un net virage dans le cheminement de l’œuvre littéraire de Franc Bardòu. L’expression de l’amour, jusqu’alors tintée chez lui de la plus vertigineuse des mélancolies, plonge soudainement dans une clarté bienheureuse que ses lecteurs les plus fidèles ne lui connaissaient que de façon très fugitive.
Effectivement, dans ce recueil de poèmes, en trois moments forts, l’auteur explore le sentiment de « Joie » amoureuse jusqu’à l’éblouissement, cheminant humblement dans les pas successifs de Joë Bousquet, Gaucelm Faidit et René Nelli, dans des formes libres, parfois très libres, mais aussi parfois très classiques (si on fonde le classicisme occitan, comme le fait Bardòu, sur la lyrique occitane médiévale) selon les émois et les inspirations de l’instant, à la découverte de l’Autre, essayant de lui donner à percevoir ce qui est spirituel dans les chairs et ce qu’il y a de plus charnel et sensuel dans la respiration enthousiaste de l’esprit. Ce bouquet de fleurs poétiques est dédié à une Dame merveilleuse, aussi aimante qu’aimée.
Le premier temps fort, en 29 tableaux, parle à « l’Inespérée ». L’imagination active y déroule un flux d’images surréalistes qui recomposent avec des éléments réels, la pâte-même d’une vérité jusqu’alors invisible, que révèle la seule exaltation amoureuse, et dont l’inconscient tressera désormais la représentation de ce monde. Le second temps fort , orné de 7 tableaux, s’adresse à « l’Espérée ». Une attention soutenue permettra aux lecteurs d’y remarquer que les citations du grand Gaucelm Faidit, troubadour de l’amour partagé, donnent à chaque « chanson » qu’elles accompagnent, leur métrique classique que l’auteur contemporain récupère sans difficulté Cependant, cela n’est pas la cas, par exemple, pour le premier tableau, qui se dit être une « octine », sorte de sextine à huit rimes au lieu des six convenues selon le modèle initial d’Arnaut Danièl,
ni même pour le dernier tableau qui, lui, constitue una alba formellement inspirée du grand classique incontournable de Guiraut de Bornelh. Le dernier temps fort, composé de 29 tableaux, semble prolonger un assag, puis les nuits que le suivraient, comme le titre du chapitre l’évoque assez limpidement : « Dans tes bras ». Il le fait dans le climat poétique d’un René Nelli encore très jeune, énigmatique et probablement pas assez connu. La forme peu habituelle des 29 derniers poèmes ne va pas non plus sans faire penser à une autre influence littéraire, celle du poète de la revue Òc, le contemporain Jean-Pierre Tardif, par la modernité de construction et l’aspect éthéré, aéré, duquel procèdent les textes qui concluent ce beau recueil d’amour partagé.
Poèmes extraits du recueil
Chapitre I
Inespérée
« Par elle, à chaque instant, j’étais ailleurs, j’étais autre. »
Joë Bousquet
in La tisane de sarments
Poème VI
Inespérée
Selon le gré du temps qu’il fait,
chaque fois que, dans ta main fine,
il s’enferme sans un murmure,
tu m’as tracé la voie au ciel :
elle reflétait ce long chemin
que mon pas égaré s’invente
pour te rejoindre dans l’espace
énamouré d’un vert silence
d’herbage vif comme l’éclair.
Et tu m’as là, frêle mémoire
d’un passé jamais advenu,
qui te contemple dans ta grâce
de femme ouverte au vide amer
de mon absence inextinguible,
jusqu’à ce que tout le désert
d’une vie qui devait se perdre
te rencontrât au cœur des mots
qui l’enfermaient dans leur écrin.
Inespérée, parce qu’inouïe,
se lève du vent la voilure
qui laisse la cime éployée
d’un regard où tu règnes enfin
sur un futur jamais nommé.
Inespérée, un cœur frémit,
peur d’aimer, peur d’abandonner
la certitude des ténèbres
pour l’espérance en la lumière.
Chapitre II
Espérée
« Mon cœur et moi-même, et mes bonnes chansons, et tout ce que je sais dire ou faire d’avenant, je reconnais que c’est de vous, noble dame, que je l’ai reçu en tenure… »
Gaucelm Faidit
in Mon cor e mi e mas bonas chanssos
Poème I
Octine à l’aiguille orientée
La mer qui me porte à toi
m’avait drapé, sur les flots, de sa langue.
J’en ai reçu l’écume vive et forte
qui pousse loin, jusqu’à toi, ma voix claire.
De cœur ardent, elle te dit les lointains
pour que leur fougue après moi bien te tienne.
Fée de la source, ce que je suis te chante
ce dontAmour, en t’aimant toi, m’émonde.
Car le ciel déjà s’émonde
à ton passage où s’ouvre en grand la porte
du Tout réel. Tous les mots de ma langue
dans la splendeur de ta grâce te chantent
chaque frisson de ta peau douce et claire.
Sur l’océan, au tumulte des vagues,
et même si mon esquif tient à peine,
notre boussole indique voie vers toi.
Que cette voie soit le conte
du long périple entre foudre qui épure
et ce grand Cers qui enfonce toute porte
pour accoster là où Amour se tient.
Dans les embruns où chante la baleine,
où la sirène enchante son langage,
je dirai, moi, combien ma foi en toi
devient plus forte et ma chanson plus claire.
…
Chapitre IV
Dans tes bras
« Profond toi-même se meut un corps qui traverse les astres
Puits de vertige, femme, l’ineffable poids de tes membres »
René Nelli
in Présence
Poème XVI
Je suis cela
Tu alignes trois mots au ruisseau
qui répand préludes et fougues
aux musiques si naturelles
anéantissant les limites
entre la sève et la lumière.
S’évanouit toute pensée
dans des soupirs de chair immense
de chair profonde, de vertige,
dans cette chute ascensionnelle
vers un nulle part si divin
que rien ne saurait mieux nous dire.
Trois mots seulement, juste au gré
de la chanson de l’eau bien vive
qui ruisselle au long de ta grâce
féline, magique et sucrée,
mais ardente à n’en plus finir
que dans l’indicible incendie.
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