Brillants et fous

Vous avez ici un recueil de poèmes établi sur l’Éloge de la Folie du grand humaniste de la Renaissance, Érasme, qui permet à Franc Bardòu de parcourir maintes pages de la condition humaine, dans les traces de ses absurdités et autres contradictions. Voici comment l’auteur lui-même s’en justifie en introduction :

« Puisqu’il vient fort souvent à l’esprit de chacun de penser que quelqu’un, quelque chose ou bien d’autres sont complètement fous, l’émoi m’ayant saisi d’avoir raison, peut-être en me disant que tous, chacun, autant qu’on soit, nous passons pour le fou de quelqu’un ou bien de quelque chose, j’ai voulu, tout timide en questionner Érasme : qu’avait-il donc pensé de ladite folie, lui, sage qui jamais ne faisait concession à quiconque ?… En son nom, la folie m’a parlé, car lui, non. Précisons cependant qu’il était un peu mort, mais son œuvre est bien vive. 

Couverture de recueil de poèmes, Franc Bardòu
266 pages - ISBN n° 979-10-93692-45-6 - Prix de l'éditeur : 15€

« Je m’en suis contenté, constatant à mon tour que pour vraiment la suivre, il me fallait sans cesse observer ciel et terre, oui, tout un univers que ceux qui me connaissent me savent n’aimer guère. La moisson est immense et, joyeuse ou sinistre, elle parvient à l’esprit convenant de ceci : qui de folie apprend comprend tout l’univers ; mais qui cherche à la fuir, elle le rattrape vite et en fait son pantin, son âne, son esclave. Et tout bien réfléchi, il me vient à l’idée — folie, quand tu nous tiens !… — que toute société où les gens dominés s’efforcent d’endurer les fous qui les dominent est d’un peuple de fous. 

« Mais de ce dernier point s’écriront d’autres livres. Chaque poème s’y trouve être un sonnet en vers libres mais toujours minutieusement rythmés. Le précède à chaque fois une citation d’Érasme dont le poème est plus le prolongement imaginatif que non point l’illustration plate et servile. Au demeurant la foi de l’auteur reste fondamentalement gnostique. Et pour s’efforcer d’aller plus libre afin de suivre finalement à son tour la Folie, l’auteur a parsemé ce voyage d’une large brasée de fleurs poétiques ou philosophiques cueillies dans plusieurs langues et traditions. »

Poèmes extraits du recueil

« Leur zèle s’appliquait à composer des éloges de dieux et de héros. Vous entendrez donc un éloge, non d’Hercule, ni de Solon, mais le mien, celui de la Folie. »

Érasme
C’est la Folie qui parle – §II, in Éloge de la Folie

« Assatz es fols qui me.n repren
de vos amar, pòis tan gen mi convé,
e cel qu’o ditz non sap cum s’es de me,
non no.us vei ges aras si cum vos vic,
quan me dissetz que non agués cossir
que qualque ora poiria endevenir,
que n’auria enqueras gauzimen :
de sol lo dich n’ai eu lo cor gauzen. »

Na Castelosa
in Amics, s’ieu.us trobès avinen

 

Pour Dame Christel

Poème II

À nous en prendre la raison

J’ai, dans le chant du vent chenu,
inverti la vaste clarté
de tes mains vers le ciel offertes
comme on veut clore une oraison.

Agrippée à l’orée des arbres,
la peur nous a pris la raison,
s’inventant mille temples d’ombres
pour en incarner les chansons.

J’ai voulu me ceindre d’absence,
afin d’inverser les saisons,
celle d’espérer, de pâtir,

et tandis que les vieilles neiges
fondaient comme amours au soleil,
de par ta grâce enfin j’ai point.

 « Il est bien fou qui me reproche / de vous aimer tant ce m’est un plaisir / et qui le dit ne sait rien sur moi-même, / car je ne vous vois point comme autrefois / quand vous me disiez de cesser mes soucis / et qu’un beau jour il pourrait bien se faire / que je connusse encore quelque joie : / ces seuls propos rendent mon cœur joyeux. »

« Une race très folle et très sordide est celle des Marchands, puisqu’ils exercent un métier fort bas et par des moyens fort déshonnêtes. Ils mentent à qui mieux mieux, se parjurent, volent, fraudent, trompent et n’en prétendent pas moins à la considération, grâce aux anneaux d’or qui encerclent leurs doigts. Ils ont, au reste, l’admiration des moinillons adulateurs, qui les appellent en public « vénérables », probablement pour s’assurer leur part dans l’argent mal acquis. Ailleurs, vous voyez certains Pythagoriciens si persuadés de la communauté des biens que, tout ce qui sans surveillance passe à leur portée, ils s’en emparent tranquillement comme d’un héritage. Il en est qui ne sont riches que de leurs souhaits ; les rêves agréables qu’ils font suffisent à les rendre heureux. Quelques-uns, satisfaits de paraître fortunés hors de chez eux, à la maison meurent consciencieusement de faim. Tout ce qu’il possède, celui-ci se hâte de le dissiper, et celui-là thésaurise sans scrupule. Celui-ci se fatigue à briguer les honneurs populaires, cet autre s’acoquine au coin de son feu. »

Érasme
C’est la Folie qui parle – §XLVIII, in Éloge de la Folie

« ed ecco i fortilizi fascisti, fatti col cemento
dei pisciatoi, ecco le mille sinonime
palazzine « di lusso » per i dirigenti
transustanziati in frontoni di marmo,
loro duri simboli, solidità equivalenti. »

Pier Paolo Pasolini
La ricerca di una casa, in Poesia in forme di rosa

Poème XLVIII

Forteresse fasciste

Fou un monde qui couvre d’or et de privilèges
ses marchands de mensonge et de futilités
et qui laisse appauvrir ceux qui soignent, enseignent,
secourent, font manger chaque jour, sans attendre.

Fou un monde qui porte, encourage et conforte
ceux qui sans nul scrupule pourrissent mers et monts,
champs, eaux, air, et s’en vont plus loin placer l’argent
pour en avoir toujours plus sans rien assumer.

Fou le peuple inconscient qui nourrit telle bête
par peur d’aller mourir sinon sans ces objets
qui empêchent de penser puis de voir le désastre,

ou par peur de tout ce qui montre vanité,
car il veut se sentir malin, bien comme il faut.
Or, la fête finie, seuls restent les déchets.

 « et voici les forteresses fascistes, faites avec le ciment / des pissotières, voici les mille petits immeubles / synonymes, « de standing », pour les cadres / transsubstantiés en frontons de marbre, / leurs durs symboles, solidités équivalentes. »

« Pourrait-il en être autrement, puisque la déesse de Rhamnunte, arbitre du bonheur et du malheur, a toujours comme moi combattu les sages et prodigué les biens aux fous, même endormis ? […] Disons la chose comme elle est ; la Fortune aime les gens peu réfléchis, les téméraires, ceux qui disent volontiers : « Le sort en est jeté ! » La Sagesse rend les gens timides ; aussi trouvez-vous partout des sages dans la pauvreté, la faim, la vaine fumée ; ils vivent oubliés, sans gloire et sans sympathie. Les fous, au contraire, regorgent d’argent, prennent le gouvernail de l’État et, en peu de temps, sur tous les points sont florissants. »

Érasme
C’est la Folie qui parle – §LXI, in Éloge de la Folie

« Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! Non ! c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ? — Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ? Tiens, tiens ! — Ha ! Ha ! les Compromis,
les Préjugés, les Lâchetés !… Que je pactise ?
Jamais ! Jamais ! — Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
— Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! »

Edmond Rostand
in Cyrano de Bergerac

Poème LXI

Contenter

Lorsque tout ciel déchoit, lorsque s’ouvre la lande,
tandis que les tordus se tiennent apeurés
dans un recoin de nuit, suant d’obscurité,
mon cœur à toi s’en vient, ouvert, cueillant l’azur.

Tu descends, relevant le lourd voile de l’aube,
rendant à chaque rien les choses et les gens
qui gardaient le jardin, sur son seuil égaré,
pour empêcher ma chair de se joindre à la tienne.

Plus ils disent l’abrupte épaisseur du réel
et plus à la lumière je bois la vérité,
cette splendeur pensive en tes bras déposée.

Ni ce qui plait à tous, ni ce que veut nature
ne pourront contenter, ni même contenir
la grande faim d’amour ni l’éclair qui nous prennent.

Se procurer le recueil

Pour commander c'est simple :

Écrivez  directement à Tròba Vox par mail à l’adresse suivante : troba.vox@wanadoo.fr

Retrouvez les œuvres de Franc Bardóu directement sur les points de ventes occitans tels que Librairie Occitania (M. J. Thourel), Espaci Occitan dels Aups, La Tuta d’Òc