L'ange qui renait
« Le rôle de l’écrivain, en dehors de l’évocation de l’amour (dans la mesure où ce dernier porte l’âme à regarder vers l’esprit, ce qui force le corps à écouter le cœur, non pas le seul sexe, et donc à servir l’âme) est de dénoncer le mal. Non pas de l’expliquer, non pas d’aider à l’accepter, à l’endurer, à « faire avec lui » mais bien de le dénoncer dans ce qu’il a tout simplement d’inacceptable, d’irrémédiable, d’intolérable, comme le fait, par exemple, l’Ivan Karamazov du grand Dostoïevski. Bien sûr, le poète peut aussi évoquer la beauté, la bonté, afin d’en éveiller la nostalgie inextinguible, celle de La Beauté et de La Bonté, celle de l’Être d’en dehors du temps et de l’espace. Mais il évoquera cela pour témoigner du fait que toujours ils nous échappent, ne font que passer devant soi ou, par chance, à travers soi, mais sans jamais s’arrêter nulle part ici-bas. Or, cet objectif (ou plutôt, ce moyen artistique d’anamnésie) n’est pas indispensable pour qu’il y ait poésie. La création poétique porte à refléter la Création, et la Création qui contient le mal, ne peut être celle d’un dieu à la fois bon et tout-puissant. Il se trouve que la même Création contient aussi le Bien, enfermé dans sa cage d’apparences fugaces spacio-temporelles. Et le Bien ne peut être le fruit de quelque chose qui a engendré le mal.
Une chose : nous pouvons lui donner bien des noms, hasard, fatalité, destin, diable, malin, peu importe ; il s’agit d’une chose qui ne peut être notre Dieu. Étant donné que cette chose ne vaut rien, nous considérons qu’elle est le Rien, le Néant plus exactement.
Pourtant, lui donner un nom est trompeur, parce qu’un non-être n’a pas d’essence (nul fait d’être observé chez lui). Son domaine est seulement celui du devenir, non pas celui de l’Être. Tout ce qui donne prise à devenir est sien. Tout ce qui est lui est étranger, irréductiblement. Pour essayer de le retenir métaphoriquement dans sa main de néant, sa main de toute-puissance, il lui fallait deux subterfuges (deux qui n’en sont qu’un seul en réalité), l’espace et le temps. Nous avons pour mission de dénoncer l’illusion, le mal, la souffrance qui en résulte sans jamais aucune raison valable. Participer du devenir équivaut pour toute partie authentique de l’Être, à souffrir l’injustice consubstantielle du mal.
L’ange qui renaît ne cesse d’en parler. Nous ne savons pas ce que nous accomplissons. Nous écrivons puis nous oublions… L’écriture demande de se souvenir de l’Être mais non pas d’elle-même (car elle est le moyen, non pas la fin), et de ne pas être « dupé ». Nous regardons la lune qu’elle nous montre, non pas le doigt littéraire qu’elle tend pour nous la montrer.
Ainsi, remplis de larmes, nous est venu cet ange entre les mains, un soir de juillet à Toulouse. À force d’amour et de poésie, nous l’avons recueilli dans le creux blessé de nos mains. À l’existence, l’art rend justice. Pauline Kamakine et moi-même avons convoqué chacun de ces poèmes, un à un, y laissant se déposer tous les brouillards et toutes les lumières de nos âmes, glissant chacun ici un mot, là un vers et plus loin une strophe, pour tisser notre fraternité des mots de notre langue par-delà générations, souffrances et ténèbres. »
Poèmes extraits du recueil
29
Vois ici ces enfers dont se pétrit ta terre,
toi, prisonnier d’un coin perdu de ces ténèbres
où l’amour s’est noyé dans des vallées de larmes !
Au gouffre nous prendrons les amis exilés
du cœur, et nous irons bâtir un autre monde
au sein d’une autre terre, celle des seuls mystères.
Dieu d’Amour, ô Marie, et vous, leurs seuls amis,
pourquoi avoir donné tant de noms à des choses,
qui ne sont que morceaux de l’Être au sein du rien ?
Pourquoi s’être bâti un monde sans justice
ni sans amour d’Autrui, au sein d’un tel néant ?
Que faire des colères abyssales et viles
qui domptent les cœurs purs, excitant d’un miroir
obscur et sans nul fond leurs ombres d’infamies ?
Les voleurs sont les rois, ici-bas, et les fourbes,
les vils et les minables t’y assomment de doctrines
à t’endormir l’esprit pour te garder aux fers.
44
Tout-puissant n’est pas notre Dieu
dans un monde de temps, d’espace,
de deuils et d’absurdes souffrances.
Seul l’amour, chemin de ton cœur
peut scintiller dans ces ténèbres,
monde mêlé de bien, de mal,
où beauté, exilée entre horreurs et fureurs,
fait signe de la main, naufragée en tempête :
poète, il te faut la sauver.
Sauve-la pour le bien malgré le poids du mal.
Sauve-la pour le sens là où règne l’absurde.
Et l’ange qui toujours renaît
tendra jusqu’aux cieux l’arc-en-ciel
pour y transposer la lumière
où s’enracinent tes poèmes
quand les ténèbres t’écartèlent.
53
Ange qui renaît, d’une de tes plumes,
écris sur mon cœur nouvelles du jour
qu’au creux de nos nuits nous avons perdu.
De l’Amour, ses lois, conte-moi comment
la grâce viendra nous prendre au chemin.
De la dignité, chante-moi l’exil,
loin au fond du puits où l’on tourne en vain.
Ange qui renaît, annonce ta gloire,
ce si doux manteau, là, sur mes épaules,
dans la nuit des jours, l’illusion du monde.
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