Alexithymie

« En 1973, P.E. Sifneos a décrit, pour la première fois, une extraordinaire folie, qu’il a nommée alexithymie (a-lexi-thymie : pas de mot pour la souffrance). Il s’agit d’une perturbation de la conscience entraînant « une impossibilité de saisir ses propres émotions, de les différencier, de les nommer ». Ce sont littéralement des souffrances sans nom. […] D’autres cas, un peu plus nombreux, ont été observés dans des « minorités socioculturelles » persécutées, contraintes de parler la langue de leurs oppresseurs, de penser avec leurs mots. Le langage, pourtant acquis, parfois riche, demeure inapte à exprimer des émotions. Les conditions sociales qui conduisent des hommes à cette folie sont donc bien connues : c’est la nécessité vitale pour eux de participer à un appareil d’oppression qui les détruit. » Celui qui parle ainsi n’est autre que le docteur Michel Bounan, dans un essai intitulé « L’impensable, l’indicible, l’innommable », paru en Janvier 1999. C’est à l’aide de cette citation que l’auteur Franc Bardòu ouvre son petit recueil intitulé Alexithymie.

180 pages - ISBN 979-10-93692-33-3 - Prix de l'éditeur : 15€

Le ton de ce recueil relativement court (38 poèmes en tout et pour tout) nous est ainsi donné. Des exergues redevables à Guy Debord et à Michel Bounan (qui fut le médecin et l’ami de Debord) appuient philosophiquement et sociologiquement les images poétiques  qui s’en sont inspirées. Ces textes se révèlent donc bien moins orientés vers des esthétismes par trop détachés de leurs contenus thématiques que focalisés sur le seul besoin de dénoncer un manque fatidique d’éthique duquel nous font souffrir au delà du intolérable nos sociétés modernistes et même post-modernistes. Chaque poème se trouve accompagné d’une photographie en noir et blanc, prise par l’auteur, d’un pas fantomatique, à travers les villes de Toulouse, Barcelone et Poitier. 

Le propos y prend la saveur de l’urgence, de l’alarme. Chaque poème s’y veut être un cri assignant à l’éveil. L’auteur donne tour à tour la parole aux victimes de ce monde tel qu’il va et devient, ou à leurs bourreaux, à moitié inconscients, à moitié cyniques. Au gré de la succession de ces tableaux plus ou moins apocalyptiques, l’auteur s’efforce de faire prendre la mesure du fait que c’est la même peste qui défait tout ce qu’il y a de plus humain dans l’humain actuel, et qui participe du même élan, de la même volonté aussi aveugle qu’insensée de tuer les langues, de tuer, donc, les diversités humaines mais aussi, sur un autre plan, les diversités naturelles : causes multiples, peut-être mais avec une même justification trompeuse, ici rageusement dénoncée.

Poèmes extraits du recueil

« L’invraisemblable débauche industrielle, chimique et énergétique, responsable des récents ravages écologiques, ne sert plus désormais qu’à fabriquer des instruments pour maintenir le système qui les produit, ainsi que des marchandises pour compenser les souffrances qu’il engendre. Et la conscience devenue incapable de saisir cette souffrance et ses causes — et donc d’intervenir pratiquement pour y remédier — se forme et s’entretient dans ces mêmes conditions de vie délirantes. »

Michel Bounan
in L’impensable, l’indicible, l’innommable

Alexithymie - 9

Il te faut produire poison
afin que tu aies à consommer,
puis produire d’autres poisons
qui te sauveront du premier,
le temps d’encore en consommer
pour continuer de sauver
ton inepte et pauvre carcasse,
en attendant qu’on la remplace
par une autre moins pourrie qu’elle.

« Maladies cardio-vasculaires : ces maladies provoquent presque le tiers des décès mondiaux. Au cours des dix dernières années, les régimes sans cholestérol et les progrès de la chirurgie cardiaque en ont modifié l’importance : elles ont augmenté de vingt-trois pour cent. »

Michel Bounan
in L’impensable, l’indicible, l’innommable

Alexithymie - 21

Non, la ville n’est pas pour toi,
ni pour personne, ni pour rien.
Dans sa profonde solitude
qui t’apparaît interminable,
elle te laisse, pieux dans un pré,
planté devant des tas absurdes
de tours, de bétons et de routes,
devant des milliers de clapiers
entassés, si laids, si étroits,
si écœurants qu’au bout du compte
ton cœur en cesse enfin de battre,
rebut de l’Être au sein du rien.

« Le monde possède déjà le rêve d’un temps dont il doit maintenant posséder la conscience pour le vivre réellement. »

Guy Debord
in La société du spectacle

Alexithymie - 38

Mais qui te rendras vif où tu n’es que fantôme ?
Qu’est-ce qui t’éveillera peuple où tu n’es que l’ombre
d’un passé englouti sous un tas de foutaises ?
Qui te fera lever là où mort tu t’effondres ?
Les peuples, c’est certain, peuvent aussi mourir.
Un peuple assassiné meurt-il plus que les autres ?
Mais qu’est-ce qui peut lever peuple qui veut gésir,
plus mort que son gisant, plus brisé que sa langue ?

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