Feu dans les yeux
j'ai soif de braises
Dans ce premier recueil de poèmes édité par TròbaVox, Franc Bardòu, en trois chapitres, explore les champs mystiques de l’oubli du moi en l’Être selon le climat poétique de certaines traditions juives (dans les traces de Levi ibn Mar Shaol et d’Abraham Aboulafia), musulmanes (suivant Farîd-ud-Dîn’ Attâr et Jabir ibn Hayyan) puis chrétiennes (après Maître Eckhart et Jean de la Croix). Comme à son habitude, il ne choisit pas entre les religions dominantes, leur préférant la plongée métaphysique et extatique de l’esprit dans l’Esprit, suivant des voies plus personnelles. Sa vision trinitaire — paléo-chrétienne gnostique — de l’humain (corps, âme, esprit) favorise de telles perspectives. Elle lui permet de distinguer d’une part, des âmes qui seraient tournées vers les seules satisfactions du corps et de ses appétits sensibles : ce serait des âmes enchâssées dans la prison de l’ego.
Schopenhauer et Leopardi ont présenté ainsi l’être humain dans leur philosophie. Puis, leur donnant à s’exprimer par la voix de sa poésie, l’auteur pense discerner d’autres âmes qui, par chance, se trouveraient plus attirées par l’esprit que par le corps. Au regard du poète, la raison d’être de l’esprit serait de rattacher la conscience des êtres à l’Être. S. Freud assimilait avec défiance à un « sentiment océanique » commun à de nombreuses œuvres d’art un tel rattachement, tandis que son confrère, C.G. Jung, rapprochait ce fait artistiquement — mais aussi cliniquement — observé, de la « perception de l’Unus Mundus » des anciens alchimistes.
Ce champ poétique se donne à restituer leur voix aux âmes que l’esprit auraient appelées, dans un monde où seule passe pour sérieuse l’expression de celles qui resteraient à jamais enfermées dans la cage étroite d’une sensualité exclusivement physique. Il s’agirait donc d’une poétique spirituelle de l’anamnésie, élément de foi qui reste à ce jour omniprésent dans l’ensemble de l’œuvre de cet auteur.
Il faut enfin ajouter que ce recueil est illustré par des dessins que le poète lui-même a réalisés.
Poèmes extraits du recueil
Chapitre I
Feux dans les yeux
Poème XIII
Feu aux yeux, j’ai soif de braises !
Dans ton désert, ma prière se pose.
Elle perd amour dès qu’en toi elle perd foi.
Cœur assoiffé, plus cru que sel de pierre,
crâne explosé, chair nue et desséchée,
je reste errance en ta main de silence.
Comme en la flamme insoumise,
à pleine main, j’ai manié l’ardente
braise en ma chair, étoile d’ambre nue.
Tout à ton gré, je dépose ma terre,
son poids de deuil, sa pâte âpre de friche,
hors de la flamme, et la livre au vent ivre.
En sa clarté, l’âme avance,
cherchant là-haut — les agapes l’y espèrent —,
coupe de sang et pain de sainte friche.
Souffle interdit, tu attises déjà braises.
Mon pied céleste, ardent marcheur, s’y pose,
danse féroce au creux de l’ombre nue.
Ta clémence, dame nue,
offre un visage à l’âme que tu accueilles.
Sur ton sein d’or, la main d’amour se pose,
selon ton vœux soumise ou révoltée.
Ton corps de miel est une mer de braise :
ton souffle flambe au désert en jardin.
Esprit, seul en ce désert,
entre au jardin, retourne en la chair nue
de cette femme, et son souffle de braise
courra ruisseau de jour en toi confiant
pour écarter les murs qui la retiennent.
Un trait de jour dans l’ample nuit se pose.
Ton appel en moi se pose,
désir tonnerre au désert qui m’espère.
Ta main d’amour est déjà sur mon cœur :
forêt de l’âme et jardin de chair nue,
désert des sages aux orients de l’esprit,
toute ma terre à ton appel s’embrase.
Prière pose en ton nom sa voix nue,
douleur terrestre, et sa clarté défie
toute mort mise eau dans la soif de braise.
Chapitre II
J’ai soif de braises
Poème II
Je la vis la première fois,
ce n’était à peine qu’en rêve
à travers les rumeurs d’étoiles.
Je la revis : c’était mystère !
Son allure fine et précieuse
stupéfia toute ma chair d’homme.
Elle sortit en riant d’un temple,
sur mon cœur à jamais perdu.
Dès lors, pour pouvoir la revoir,
je me fis prêtre et je priai.
Chaque nuit, chaque jour, chaque heure,
non ! chaque instant m’en éloignait !
Chaque souffle était un soupir,
mes battements de cœur prière.
Mon cœur, lui, gisait en poussière,
palpitant là, dans ses empreintes.
Je lui déclarai mon amour,
agenouillé devant son ombre.
Elle me dit qu’il n’était qu’un songe.
Je lui donnai alors la lune,
les étoiles et le soleil,
en lui contant, de ma voix frêle,
que rien ne dépassait sa grâce
et qu’elle m’était reine du ciel.
Elle ne voulait en rien d’un prêtre,
me lança-t-elle, un jour de fête.
Elle préférait, de solitude,
aller se perdre en ermitage.
Je me fis donc sable au désert :
les flots de larmes de mes yeux
le firent bientôt verdoyer.
Je m’offris en bouquet de fleurs.
Des fleurs seules, elle n’en voulait guère.
Pour elle, dame noble et sage,
il fallait au moins un palais
avec des sources, des jardins
marbrés, dorés et ciselés
comme des joyaux de déesse.
Je me fis donc grand chef de guerre.
Ainsi, je lui offris un empire.
Elle me pria d’aller chercher
le secret de la flamme verte
qui pouvait la rendre immortelle.
Un dragon gardait ce secret.
Sans plus songer, je m’en allai
quérir le feu qu’elle réclamait.
J’y risquai tout, j’y perdis tout,
même le bon sens, le sommeil.
Amoureux, j’étais cette flamme
que la dame me demandait.
Je n’éprouvai ni bien ni mal,
lorsque la gueule du dragon
me vomit le souffle de feu
qui me gardait du vert secret.
Amour seul me servait de loi
et sa loi m’était de brûler.
Je me consumai tant d’amour !
J’y brûlai même la tristesse
qui me blessa au fond de l’âme
quand au palais je fus rentré.
Ma dame s’était mariée
à un guerrier de son armée.
Elle me laissa là, suppliant,
au pied de son trône de reine.
Le roi jaloux me condamna
à expirer sur un bûcher.
Amour est feu, mais il est sage
où la raison n’est que fumée !
Quand tomba la dernière cendre,
elle se laissa prendre à l’éclair
qui montait du fond de mon être.
Il effaça tous les mensonges :
les plus belles roses se fanent
mais pas cette interne lumière.
Dans sa clarté j’ai mis mon cœur
perdu en elle désormais.
Chapitre III
Regard de braises
Poème II
On me conta que Bélibaste,
hantant ses terres interdites,
s’arrêta, les yeux pleins de larmes,
devant les pauvres cendres noires
du bon Philippe d’Alairac
qu’on avait brûlé le jour même
lorsque à tous il clamait encore :
« Je suis l’amour, la vérité. »
Le fugitif au cœur blessé
piétina les cendres tragiques
en élevant les bras au ciel,
et cria sur la place vide :
« Où est l’amour ? Où est la vérité ? »
Le vent qui te porte t’emporte.
Laisse là tout ce qu’il t’apporte
si tu pries pour l’Eternité.
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