Cette déambulation entre photographies en noir et blanc cueillies à peu près toutes dans l’Aude et poèmes courts, construit sur le modèle élégiaque de René Nelli, invite à la contemplation. Elle s’est tissée avec la fibre d’un amour maternel à jamais perdu et enfoui, puis pétri de la lumière d’un regard paternel, abreuvé de souvenirs, de nostalgie et de sourires définitifs, mais aussi de rêves, et nourri de toute la présence de l’amitié partagée. Le recueil s’étend sur un territoire littéraire d’où ont été tirés maints des ancêtres de l’auteur, protestants oubliés, catholiques sans église, socialistes jaurésiens, bien connus, aimés et regrettés, ou évanouis dans la brume hasardeuse des légendes familiales. Comme chez le grand Nelli, la sensibilité métaphysique des Bons Chrétiens médiévaux n’y est jamais très éloignées non plus.
Dans une postface qui constitue également un témoignage de première main, voici ce qu’en écrit l’historien Charles Peytavie :

« Les textes et les photos de ce recueil ont une histoire et il est temps, je crois, de vous révéler quelques-uns des secrets qui ont précédé à sa composition. Si je m’y autorise, ce n’est pas seulement parce que je connais Franc depuis plus de vingt ans et que nous avons entrepris depuis tout ce temps autour de nos rencontres hebdomadaires un dialogue amical qui ne s’est jamais interrompu, mais parce que surtout j’ai été le témoin privilégié du curieux processus créatif qui est à l’origine des images et des poèmes qui le constituent. J’ai bien conscience qu’il est toujours risqué d’ouvrir en grand les portes de l’atelier d’un alchimiste, fût-il des mots et de la lumière, afin d’en révéler les mystères de la création. Mais puisque comme moi vous êtes des lecteurs et des auditeurs réguliers de ces œuvres, il me paraît nécessaire de vous affranchir sur l’étrange vérité de ce livre, comme du reste, celle de tous ceux publiés ces dernières années dans la collection Votz de Trobar où l’œuvre poétique de Franc dialogue avec son œuvre photographique.
Autant que le goût de l’Histoire de l’Occitanie médiévale, c’est celui de la photographie qui nous a réunis Franc et moi et avec elle l’envie de parcourir les sites témoins de cette histoire dans l’Aude surtout (j’y reviendrai) et bientôt au-delà. Un héritage de nos pères, du temps de l’argentique où nous apprenions à développer nos premiers clichés dans des laboratoires improvisés dans des garages ou des salles de bains. Du haut de la colline de Jolimont, le jeune Franc a toujours rêvé des grands espaces qu’il contemplait de son balcon en regardant plein sud au-delà de l’agglomération toulousaine. Il ne le savait pas encore mais son Occitanie serait essentiellement pyrénéenne. Sa langue, il ne la rencontrerait que quelques années plus tard comme un exutoire et surtout une évidence au cours de son service militaire. De fait, je crois, la photographie a de loin précédé puis toujours accompagné sa création littéraire même si durant plus de vingt ans, il la tint pour une passion discrète, avant tout personnelle, pendant qu’il affirmait sa plume poétique. Je n’ai d’ailleurs toujours pas saisi comment ce technophobe patenté, grand contempteur des téléphones portables et des technologies quotidiennes, a pu un jour se résoudre à scanner un échantillon de ses milliers de diapositives des Pyrénées pour les mettre en ligne sur les premières galeries visibles sur le net. C’est là que pour la première fois j’ai découvert son talent de photographe. Le poète, spécialiste de René Nelli, que j’avais rencontré à Carcassonne au Centre d’Études Cathares, avait comme son aîné, le goût des ombres et de la lumière, une passion pour l’art de l’image et ceux fort rares capables de la transformer, de la transmuter, d’aller au-delà des formes apparentes. J’ai commencé par lui demander des clichés pour illustrer mes articles et mes conférences historiques. Peu à peu, tout un nouveau public a découvert Franc Bardòu sous un nouveau jour. Le poète était aussi photographe. Notre amitié s’est soudée depuis Toulouse sur les routes de l’Aude. Appelés souvent à faire des conférences en duo, nous nous sommes mis à profiter de chacune de nos sorties pour sillonner l’Occitanie, l’Aude étant au cœur de la plupart de nos voyage. Ce recueil plus que tout autre en témoigne. Peu à peu, un rituel informel s’est établi entre nous. A moi revient ce que Franc appelle la logistique : le choix des destinations, des itinéraires et des étapes gastronomiques. A la lui, la conduite et, ce que je crains pas dessus tout, le choix de la musique. Franc est pourtant un mélomane chevronné et complétiste au sens où quand il s’empare d’un compositeur de musique dite « classique » (ancienne, baroque, classique, romantique et post-romantique), il veut tout savoir et tout écouter (il a le même comportement avec les philosophes ou les auteurs anarchistes dès lors qu’il les trouve son goût). Moi pas. Dans sa voiture, au cours de nos trajets, il pourrait me faire profiter de ses découvertes. Mais non. À quelques exceptions près — notre passion commune pour la musique de film et tout particulièrement Ennio Morricone et les compositeurs des musiques des westerns italiens des années 1960-1970 ; qui n’a jamais roulé toute fenêtre ouverte en plein été sur une route perdue du Lauragais au son du morceau« Espanto en el corazon » chanté par Thomás Millián et composé par Bruno Nicolai pour le film « Corro, uomo, corri »
de Sergio Sollima (1968) ne peut réellement comprendre l’œuvre de Franc Bardou son choix se porte sur des groupes de métal dit « symphonique » (Rammstein, Within Temptation, Epica, Therion, Nightwish, Tarja, quand ce n’est pas Metallica o Devin Townsend). Telle est la bande-son de travail photographique ! Il fallait que vous soyez au courant. Heureusement pour moi, depuis quelques années, Vangelis et les dieux du reggae (roots et cali roots) sont venus parfois casser cette routine auditive sans doute nécessaire à son exaltation de parcourir les routes occitanes. Il faut une couche de surréel nécessaire à la découverte de ce bas monde. Voilà ce que sans doute ajoute ce décalage musical sur lequel je n’aurai jamais, j’en ai pris mon parti, aucune maîtrise. Ce choix n’impose pas du reste heureusement une conduite effrénée. Combien de fois suis-je obligé de lui rappeler d’avancer pour que nous soyons à l’heure à nos rendez-vous ou que nous puissions visiter dans les temps tous les sites prévus pour la journée. « Avance… » aurait pu être le titre de ce recueil sur l’Aude, sur le volume précédent, fondé sur Ariège, ou sur celui qui se réfère au Tarn, encore à paraître. Mais Franc, une fois sur la route, ne veut rater aucune occasion de faire une bonne photographie. C’est vital. Il en va désormais de toute une grande partie de son processus créatif. L’image précède les mots. Non pas que Franc n’écrive pas en chemin au cours de nos pérégrinations. Il a toujours à la main un petit carnet où il compose toujours à chaud des poèmes (je l’ai même vu le faire alors qu’il assistait à mes propres conférences). Mais ce texte ne sera rarement pour ne pas dire jamais celui que vous lirez en relation avec la photo prise ce jour-là, une fois publiée. Chaque nouveau recueil de poèmes est d’abord construit autour d’une sélection de clichés pris sur un territoire donné. Les photos sont retravaillées pixel par pixel, gommées de toutes aspérités modernes (adieu les fils électriques, les éoliennes, les antennes TV, les voitures toujours mal garées). C’est à partir de cette sélection de nouvelles images que les poèmes sont écrits sur des thèmes induits par la seule actualité du poète, selon ses amours et sa propre pensée anarchiste. Il y a fusion du texte bilingue et de l’image au moment de leur publication et surtout au moment où nous les découvrons. Franc, sauf quand je lui demande encore des photos d’illustration pour des livres ou des revues, je le sais, aime de moins en moins, retranscrire le réel de ce qu’on voit à travers un objectif photographique — il semble, à la place, doté d’un subjectif photographique. Je le ressens au cours de nos balades lorsqu’il me demande de privilégier certains paysages ou certaines destinations. Il y a des passages obligés : une église romane, une ruine antérieure aux affres de la Croisade contre les Albigeois, le pech de Bugarach au cœur de ce Razès audois que nous aimons profondément l’un et l’autre. Ce que Franc recherche, à travers ses photographies et les poèmes qui les accompagnent, c’est un monde qui n’existe que dans sa plus profonde imagination. Il n’est pas fan du fantastique John Ronald Reuel Tolkien ou du grand Jim Starlin par hasard. Ces deux bâtisseurs de mondes et de cosmogonies sont pour lui une source d’inspiration tout aussi profonde que Carl-Gustav Jung, Henry Corbin, Gaston Bachelard, Fernando Pessoa, Joë Bousquet, Pierre Reverdy, Paul Valéry ou René Nelli. À travers ses textes et les images qui les accompagnent (et non pas « qui les illustrent » comme vous l’avez désormais bien compris), Franc témoigne d’une Occitanie qu’il rêve et invente chaque jour et qu’il contemple avec intensité, une Occitanie utopique, anarchiste, anachronique, gnostique, poétique et sensible, une Occitanie toute proche, qui prendrait sa source naturellement dans la victoire surréelle du roi Pierre II d’Aragon à la bataille de Muret de 1213, mais seulement accessible à travers l’âme de l’artiste et le rendu forcément toujours incomplet de ses œuvres.
Demain, après-demain, lorsque nous remettrons en route, je sais qu’au travers de nos joyeux périples, mon ami ne cherchera pas seulement ma compagnie, lui fût-elle agréable, mais se mettra en quête de cette outre-monde que lui seul perçoit et se donne la peine de nous retranscrire. Pour cette capacité dont je suis bien incapable et qui vaut bien parfois que je le presse, je l’admire beaucoup. »
Poèmes extraits du recueil
« Le torrent descendait
les degrés de la foudre,
riant à belle écume,
un aigle sur l’épaule. »
Renat Nelli
in Vesper o la luna dels fraisses
I
Cathédrale de rocs, élevée en épée au vertige du vide,
la montagne, sur le rien
domine le soir qui tombe,
et son tail de lumière, au souffle de la terre et des astres
accorde un dernier pardon
au temps qui nous tient encore,
tandis qu’ici posés, au vespéral chemin qui nous hèle,
les adieux toujours tardifs
semblent offrir ces jours neufs,
quand, au premier matin où ton pas s’y posait, tu as vu
jaillir tout ardent le pech
aux chants floraux de ses sources.

« Les choses sont en façade. Platitude du réel. Chair trop évidente. Le réel n’est pas pénétrable.
Si tu devais me survivre, ciel éternel, je ne te verrais pas. Tu n’apparaîtrais qu’à toi-même. »
Renat Nelli
in Proverbes
à Xavier Saisset (1964-1994)
in memoriam
XXI
Au soir d’or où, de miel et d’air chaud, riaient les capitelles,
où tu es déjà je serai,
au secret de chaque mont.
L’hiver comme l’été ne feront qu’un seul jour si les voiles
de ton vaisseau se remplissent de plus d’espoir que mon cœur.
Tu es parti découvrir d’autres cieux, d’autres monts et châteaux,
d’un port bordant les étoiles
que nul vivant ne connaît.
Désormais Minervois et grand ciel en un unique souffle se sont joints et me confondent à tes chemins sidéraux.

« Je criais au vent d’été
de tes cheveux
pour ne pas oublier ton sourire ;
Je criais à la terre
l’orage de ma mémoire
sans pouvoir m’apaiser. »
Paulina Kamakine
in Partir
XC
Seul l’azur, étendu au-delà des demandes et des grâces,
sait encore pénétrer
la terre qui t’a fait ombre
dans la lumière hissée aux poussées des montagnes sublimes,
leur silence souverain devant la fuite du ciel.
Rien ne vaut, à tes pieds contrefaits par mille années d’errance,
ce parfum au regard tendre
lorsqu’il embrasse l’espace,
s’enivrant de vallées ignorées, du blond des prés fauchés
te renvoyant à ce temps
où le temps n’était point cage.

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